Arts / Numérisation / Fractals

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Carlos Ginzburg (1) / Hybrides fractals

 

 

 

 

L'hybridation fractale des formes et des consciences 

 

 

L'image numérique de l'œuvre de Carlos Ginzburg, présentée ci-dessous et décrite en fin d'article, bien que de qualité suffisante pour le Web, gagnerait beaucoup en finesse de détail à être numérisée, affichée à l'écran ou imprimée en très haute résolution. Précisons également que la forte pixélisation de l'image a été réalisée volontairement par l'artiste, comme cela est expliqué dans l'article.  

 

 

 

Carlos Ginzburg (né en Argentine en 1946, vivant en France, l’un des principaux artistes théoriciens de l’art fractaliste, avec – notamment en France – Jean-Claude Meynard, Jean-Paul Agosti, Jean Letourneur, Miguel Chevalier) a mûri longuement, depuis le début des années 1980, sa pratique de la fractalisation artistique appuyée sur une réflexion des rapports de l’ordre et du chaos dans la nature et dans la « société mondiale » (ou mondialisée), hyperramifiée et universellement hybridée par les réseaux ubiquistes d’information. Depuis les années 1980, il a réalisé beaucoup de « chaotisations » iconiques dont le principe est une technique consistant à fragmenter et mettre en pièces aléatoirement des images photographiques et des reproductions de toute provenance (photographies personnelles, images publicitaires, photographies de presse, images de bandes dessinées, photos de cinéma, etc.), puis à les recombiner en structures nouvelles qui accentuent l’aspect discontinu et irrégulier Carlos Ginzburg, Hybride fractal, 1994, assemblage hybride et numérisation intégrale de la composition, image volontairement très pixélisée, tirage cibachrome final : 1,2 x 1,9 mde la composition. Selon la distance au tableau, lequel comporte des tracés picturaux buissonnants, hyperramifiés, l’observateur perçoit des signes plus ou moins flous et abstraits, vibrant optiquement en fonction de la relativité perspectiviste du spectateur. La vision proche (« haptique ») extrait de l’ensemble hybride une profusion de détails qui ne sont pas interconnectés. L’extrême densité de l’information visuelle symbolise la surabondance anarchique de l’information qui génère la chaotisation mondiale des mentalités collectives.

  

Des mots sont également intégrés à ce travail de « chaotisation » perceptive qui est un métissage systématique de fragments iconico-textuels partiellement numérisés, voire anamorphosés et recomposés par ordinateur, afin de rendre nettement remarquable la trame géométrique discontinue des pixels. La structure discrète de l’image est montrée explicitement en tant qu’elle symbolise la « loi » universelle de la fractalisation brownienne, multiscalaire, qui régit toute chose, tout être et jusqu’à l’univers entier. La discrétisation des formes artistiques se veut, d’autre part, le reflet de l’informatisation des conduites socialisées. La synthèse terminale de ces oeuvres chaotisées consiste en un grand tirage photographique cibachrome ou bien en un collage peint de grand format (environ 2 m × 1,5 m). Les collages ainsi obtenus sont une hybridation d’images hétérogènes, fragmentées, de lettres et de mots intégrés aux images (hybridation langagière). D’autre part, quand il est utilisé, le procédé photographique de la reproduction cibachrome réalise une synthèse iconographique des étapes antérieures.

 

Carlos Ginzburg veut exprimer par ses « hybrides fractals » – métaphores des réseaux culturels planétaires –, la fractalisation mondiale des structures mentales individuelles et collectives en transition permanente, fonctionnant en « structure hypermédia » généralisée. Depuis le tout début des années 1980 (et même dès les années 1970, par la technique du photo-collage), il perçut avec une extrême acuité les répercussions anthropologiques possibles de l’univers contemporain de l’information « multidimensionnelle » : photographie, images de presse, télévision et médias audiovisuels, réseaux informatiques et, plus récemment, banques de données hypermédias internationales. La croissance exponentielle des contenus d’information, quel que soit leur genre (audiovisuel ou textuel), n’est pas un facteur neutre quant à l’évolution du système psychosensoriel humain. Au contraire, elle détermine en profondeur la complexification « neuronale » de notre rapport au monde, ainsi que la conscience entièrement médiatisée par laquelle l’être humain, en tant que Sujet à la fois singulier et collectif, appréhende de manière incertaine et erratique le monde dans lequel il vit, en lui donnant un sens plus ou moins chaotique.

 

 

→ Le tableau ci-dessus : Carlos Ginzburg, Hybride fractal, 1994, assemblage hybride d'images et lettres, peinture acrylique, puis numérisation intégrale de la composition. Image numérique volontairement très pixélisée (discontinue), tirage cibachrome : 1,2 m × 1,9 m. – Il est conseillé de renforcer la luminosité de l'écran, afin de révéler plus nettement les détails.

 

 

© Jean-Claude Chirollet

 

 

Texte en partie adapté de mon livre : Jean-Claude Chirollet, Art fractaliste – La complexité du regard, Paris, Éditions L'Harmattan, Coll. Champs visuels, 2005, p. 84-85.

 



09/03/2012